Le clown à l’hôpital: un métier d’intervenant social article par Annick Faniel

Je prends ma valise, ma flûte, des confettis et je pars à la rencontre…
— C. Vanandruel, Les Clowns à l’hôpital

Introduction

Dans le chaos du monde moderne, il n’est pas étonnant de retrouver le paradoxe d’Erasme à propos du « fol-sage » : si le monde est fou, écoutons le « fol » chez qui la vérité trouve refuge ! Personnage populaire et présent sur le terrain social, le clown est sans doute celui qui s’inscrit le mieux dans cette lignée historique des fous et des excentriques des places publiques. Le métier de clown en hôpital apparaît tout d’abord aux Etats-Unis. La première «unité d’intervention clownesque» pour l’hôpital date de 1986 à New-York. Michael Christensen y fonde le Big Apple Circus Clown Care ©, projet qui consiste à envoyer des clowns dans de grands hôpitaux pédiatriques des Etats-Unis. Par la suite, Caroline Simonds, collaboratrice de Michael Christensen, fonde à Paris l’associationLe rire médecin. D’autres associations naissent ensuite dans d’autres pays et c’est en 1992 que Patrick Beckers et Renelde Liégeois créent le projet de clowns hospitaliers à l’Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Hude) (1). En 1995, le projet des clowns à l’hôpital est lancé à l’hôpital Erasme par Daniel Cap et Catherine Vanandruel (2).
Nous avons rencontré ces pionniers qui nous ont parlé du métier du clown. Il ne suffit pas de mettre un costume et un nez rouge pour être clown. Il ne suffit pas d’entrer dans une chambre d’hôpital avec des confettis pour faire rire.
Voyons les particularités de ce métier et le clown en tant qu’intervenant social.

Devenir clown et devenir clown intervenant

« Etre clown est un état, ce n’est pas une fonction »(3)

Pour donner vie au clown, habiter le regard qu’il pose sur la vie des hommes, assurer la posture et la fonction du clown dans la vie sociale, l’«acteur-clown » doit effectuer tout un chemin de (trans)formation, d’abord « à la découverte de son propre clown », ensuite en tant que « clown intervenant social ».

Le métier de «clown intervenant» ne s’improvise pas. Il exige une excellence artistique couplée à une solide connaissance des milieux dans lesquels le clown intervient. Les artistes professionnels doivent adapter leur jeu à la réalité de l’hôpital et des centres d’hébergement, tout en développant leur savoir et leur sensibilité à l’égard des différentes clientèles rencontrées.

Par sa formation de départ, l’artiste n’est pas un soignant, sa fonction consiste à partager un art dont il a la maîtrise. La majorité des intervenants ont beaucoup insisté sur ce fait : c’est un artiste qui propose un service, et non un soignant qui se « convertit » par miracle en artiste. La maîtrise de l’art en serait affectée. Quand bien même l’art se fait à cet endroit, auprès d’un public de personnes en difficulté, la valeur ajoutée de l’artiste serait affectée si on le réduisait à une fonction thérapeutique. Par sa particularité artistique, le clown intervenant développe un réel espace d’intervention utile et complémentaire au sein de l’hôpital, comme nous allons l’analyser dans notre article consacré (4).

Il n’existe actuellement aucune formation officielle du métier de clown à l’hôpital. Le réseau Art et santé (5) de l’asbl Culture et démocratie contribue cependant à la professionnalisation du métier d’artiste intervenant en milieu de soins en proposant deux journées destinées aux artistes et aux soignants, offrant une sensibilisation à la réalité de ce métier (6).

Un accompagnement des clowns novices par les clowns expérimentés est une pratique qui permet également un apprentissage de ce métier. Selon Catherine Vanandruel (Les clowns à l’hôpital), il est important de distinguer les clowns professionnels des clowns «occupationnels», soit les clowns dont c’est le métier de ceux qui se «déguisent». Plus encore,pour devenir clown en hôpital, l’«acteur-clown» ou «clown intervenant» doit posséder deux qualités majeures.

La qualité d’empathie:

un intérêt pour l’enfant, ou avoir eu une expérience avec des enfants, des personnes fragilisées ou handicapées, avoir une formation à l’écoute; sont autant d’atouts et de qualités de départ nécessaires au métier de clown en hôpital. «L’acteur-clown» n’est pas en représentation et n’est pas un sauveur. Il ne s’agit pas pour le clown d’être applaudi ni de sauver le monde. Par son humilité, le clown peut entrer dans l’intimité d’une personne, d’une famille, d’une chambre. L’aspect affectif et l’implication humaine font partie de ce travail relationnel effectué par le clown auprès de l’enfant. «L’important est de ne pas rater l’état de l’enfant».

Les compétences artistiques transformées en compétences relationnelles:

le sens inné du public, l’observation, l’intuition, sentir ce qu’il peut ou ne peut pas faire, sont autant de compétences développées par le comédien. Transformer ces compétences de départ en compétences relationnelles consiste à adapter ces potentialités artistiques en fonction du milieu hospitalier et de l’état de l’enfant. Il est nécessaire de «co-construire» avec l’enfant, d’être dans le moment présent, dans l’état. «On met vraiment l’enfant en avant» (C. Vanandruel, Les clowns à l’hôpital).

Pour Martine et Paolo, il est important de se mettre dans un état de disponibilité, c’est-à-dire de «pouvoir entrer dans la chambre de façon neutre en se connectant sur l’émotion du moment. Il ne faut pas vouloir faire rire à tout prix l’enfant. Si celui-ci est triste, le clown ne doit pas non plus agrandir sa tristesse. Il faut agir avec douceur et tact de façon à ce que l’enfant se sente respecté et écouté» (7).

Le métier de clown intervenant requiert dès lors un profond travail de présence au monde (écoute de ce qui est là) et de disponibilité à soi (laisser résonner).

«Je livrerai encore une réflexion sur le rôle d’un clown dans l’environnement hospitalier ; pour avoir de mes yeux vu opérer un clown expérimenté dans un service de pédiatrie, j’ai pu me faire une opinion très claire sur les dangers de laisser des amateurs se livrer aux mêmes activités. Un clown professionnel connait la distance exacte à laquelle il doit se tenir de son auditoire enfantin. Il sait prendre automatiquement le recul nécessaire quand il voit un enfant manifester de la peur. La simplicité apparente des tours exécutés par un clown versé dans son art, résulte de longues années de pratique. Aussi, malgré toutes ses bonnes intentions, un débutant risque de faire peur aux enfants. En résumé, j’ai la conviction profonde que des clowns de métier forment pour la médecine un corps d’auxiliaires précieux et quasiment inutilisés. L’ancienneté de la confrérie des clowns devrait nous pousser à honorer leurs talents laborieusement acquis en nous assurant que, seuls des praticiens parfaitement aguerris dans leur art, se produisent devant les malades.» (8)

Conclusion

Clown à l’hôpital: la question de l’attachement et de la juste distance relationnelle. Lors d’une intervention à l’hôpital, il faut dès lors clairement se former à la relation, être au clair avec ses motivations et se reposer régulièrement des questions. A l’hôpital, on est confronté aux dysfonctionnements du corps, à la mort, au deuil, à l’impuissance. Il est indispensable de rester humble quant à ce travail. Ce qui guérit, ce ne sont pas les clowns même si cela fait du bien de rire. La présence des clowns donne l’occasion pour l’enfant et sa famille de se sentir bien un instant.

C’est avant tout une rencontre humaine où il est nécessaire : – de ne pas avoir d’attente ni de peur. «Le clown est une goutte d’eau dans l’océan hospitalier. Il ne faut pas chercher à tout prix un résultat. Il est important de pouvoir faire le vide avant d’entrer dans une chambre» (P. Beckers, Docteur Zinzin) ;- d’accepter les choses telles qu’elles sont. Il ne faut pas penser le travail en terme de performance, mais bien comme une relation privilégiée en dehors de l’espace et du temps ;- d’aller au-delà du premier jugement ;- de se familiariser avec la mort. L’expérience de ce métier engendre un regard différent sur la mort. Prégnante et fréquente, elle nécessite qu’on l’envisage avec recul, «avec une autre perspective».«Il y a des enfants qu’on voit pendant des années, parfois nous gardons contact, parfois non, j’envisage la mort comme faisant partie de la vie» (P. Beckers, Docteur Zinzin).

Annick Faniel

  1. Docteurs Zinzin (clowns de l’hôpital Reine Fabiola, de l’Asbl Lapsus Lazuli, soutenue par la Cocof secteur initiative en santé)
  2. Les clowns à l’hôpital (Erasme et Saint-Pierre) de l’asbl Fables Rondes, un projet soutenu par la Cocof, service santé.
  3. Dixit Pierre Etaix (réalisateur, acteur, dessinateur et dramaturge français né en 1928)
  4. «L’intervenant-clown: un travail d’adaptation en milieu hospitalier», Annick Faniel, CERE, 2012
  5. http://www.artetsante.be; http://www.cultureetdemocratie.be Fondé en 1993, Culture et démocratie est un mouvement spontané d’artistes de toutes les disciplines, d’intellectuels, de responsables culturels et de mouvements associatifs.
  6. «Rire contre la souffrance avec les clowns en hôpital», de Iouri Godiscal, in éduquer, n°89/ avril 2012http://www.cultureetdemocratie.be/fr/axes/culture_et_solidarite/infos.html#artiste_soin_I
  7. In « Le métier d’artiste intervenant en milieu de soins», Deuxième édition des journées d’information sur le métier d’artiste intervenant en milieu de soins – Janvier 2010, p.21; http://www.cultureetdemocratie.be/fr/documents/synthese%2025-26012010.pdf
  8. Extrait du livre “Guérissez par le rire” du Dr R.Moody aux éditions R.Laffont(1978 aux U.S.A)

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

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