Poésie sans ordonnance – Article publié dans le magazine Imagine demain le monde

Nous remercions chaleureusement M. Hugues Dorzée pour son superbe article « Poésie Sans Ordonnance » publié dans l’édition mars/avril 2020 du le magazine slow press : Imagine demain le monde.

Téléchagez l’article au format pdf ici.

En voici la retranscription texte :

Pionniers dans le secteur de l’art et la santé, Les Clowns à l’hôpital tracent leur chemin depuis vingt-cinq ans entre fantaisie et thérapie. Reportage dans les pas de Zuzut et Bouboule à l’Hôpital Erasme de Bruxelles.

Tu t’rends compte Bouboule, elle ne sait même pas qu’c’est la Journée des câlins, rhôooo… ! », se marre Zuzut en sortant de son sac une brosse à dents géante. Le clown caresse délicatement le dos de la petite fille au bras bandé qui éclate aussitôt de rire. Mi-gênée, mi-excitée, elle se tortille : « ça chatouille… ».

Une infirmière passe dans le couloir, la mine réjouie, et salue nos deux paillasses égarées sur le bord de la route 328, dans l’unité de pédiatrie, au 2e étage de l’Hôpital Erasme à Bruxelles. Elle, robe bariolée, couettes basses flanquées d’élastiques de couleurs, béret tigré et petit sac rose. Lui, pantacourt à carreaux, chaussettes de footballeur et foulard orange. Et les voilà partis, tour à tour poétiques, fantasques, gaffeurs, ridicules, malicieux…

Comme chaque mardi après-midi, ils déboulent en duo avec leurs looks extravagants et leurs improvisations burlesques. Zuzut, Bouboule, Biscuit, Rondelle, Jupette, Bartok, Bretzel et Lilli Bellule… ne sont ni soignants, ni thérapeutes, mais tous comédiens professionnels formés aux techniques créatives en milieux de soins. Forts de leur longue expérience des Clowns à l’hôpital initiée voici vingt-cinq ans par l’Asbl Fables Rondes, ils sont devenus de fidèles compagnons de jeux pour les enfants hospitalisés, leurs parents, le personnel soignant, les équipes de nettoyage… A Erasme, mais aussi au CHU Saint-Pierre de Bruxelles, ils trament leurs savates dans plusieurs services (consultations, urgences, soins intensifs…), proposant à la carte une large panoplie de pitreries (impro, magie, musique, jonglerie, danse…) et des animations clownesques déambulatoires.

« Bisous Morgane, on viendra te voir plus tard», promet Bouboule d’une voix douce en passant son nez rouge dans l’entrebâillement de la porte. A la sortie de l’ascenseur, nos deux compères charrient le brancardier : « Quand vont-ils enfin t’installer des rétroviseurs ? ». Un aide-soignant se moque de leurs sourcils « maquillés de travers ». Ils font ensuite un bout de chemin avec une vieille dame qui a rendez-vous, en ophtalmologie : « Des câlins ? C’est gentil, car j’en ai bien besoin en ce moment», sourit l’octogénaire un peu tristounette.

Chaque ouverture et fermeture de porte se transforme en gag. Une perfusion sur roulettes, deux doctoresses à la machine à café, des visiteurs égarés dans les couloirs… Le tandem s’amuse de tout, délicatement, sans être intrusif. Avant de débouler aux urgences puis aux consultations pédiatriques comme deux éléphants (roses) dans un magasin de porcelaine.

« N’ayez pas peur Monsieur, nous sommes là… », murmure Zuzut à un patient visiblement affecté. Et la magie opère. Lentement. Fugacement. Poétiquement. Avec un perroquet-marionnette, une boule magique, un grattoir télescopique, des petits trucs et ficelles et beaucoup de justesse dans le jeu, ils apportent fantaisie et humour dans un univers aseptisé et médicalisé.

« Gaité et distraction »

Retour à la salle 328, dans l’unité de pédiatrie : un service de vingt-trois lits, une équipe pluridisciplinaire (médecins, infirmières, aides-soignants, psychologue, kiné, assistante sociale et ergothérapeute), des patients âgés de 0 à 16 ans. Avec de multiples cas médicaux (maladies respiratoires, infections urinaires…) et chirurgicaux (fractures, hydrocéphalies, tumeurs…), des pathologies lourdes ou légères, beaucoup de détresse, de peurs, d’incertitudes…

Pour alléger et égayer le quotidien des enfants, l’Hôpital Erasme a mis en place un programme « ludique » en collaborant avec les artistes du Pont des arts, des mamies conteuses, les Clowns à l’hôpital… : « On a également aménagé une salle de jeux et noué un partenariat avec l’école Robert Dubois pour les enfants malades. Des enseignants viennent ici pour dispenser une aide aux apprentissages, explique Khalida El Bidadi, infirmière en chef. Par ailleurs, il y a tout le volet social : les enfants avec peu ou pas de famille, en situation précaire, pris en charge par l’Aide à la jeunesse… »

« II faut être souple, agile, naturel »

« Sam doit venir faire de la physique, mais avant ça il doit manger ses haricots ! », s’amuse l’institutrice entre deux cahiers. Bouboule « prie pour Sam » sans voir derrière lui, coquin et hilare, le petit Amadou qui le taquine dans le dos.

« Ma fille est réveillée… », prévient à l’accueil un papa au visage anxieux. Zuzut lui fait un coucou en coin. Le monsieur sourit et s’engouffre dans la chambre…

« Ils apportent de la gaité, des surprises, de la distraction, tout en veillant à rester dans leur rôle», souligne le Dr Joris, pédiatre. «Leur tour des chambres est toujours un moment de joie et de plaisir. Ils sont très attendus par les enfants. Ce quart d’heure de jeu est une vraie bouffée d’oxygène. C’est excellent pour leur moral et pour les parents qui peuvent souffler un petit moment», confirme Kalida. Mais derrière chaque tournée, il y a du travail, une éthique, une longue expérience du métier.

En 1995, quand ils ont lancé leur projet, Catherine Vanandruel et Daniel Cap, deux comédiens issus du célèbre Magic Land Théâtre, étaient précurseurs avec d’autres collègues comme Renelde Liégeois et Patrick Beckers (Les Docteurs Zinzins qui officient toujours à l’Hôpital des Enfants Reine Fabiola).

Après avoir exploré différents milieux’^prisons, maisons de

repos…), ils se sont formés à des techniques clownesques spécifiques (l’écoute de l’enfant malade, le rire médecin, la musculation de la déconnade…), ils ont intégré les codes et les contraintes du monde hospitalier (éthique, hygiène…) et participé, avec l’appui de l’Asbl Culture & Démocratie, à la rédaction du code de déontologie de l’artiste intervenant en milieux d’accueil, d’aide et de soins.

« Aujourd’hui, beaucoup de non-professionnels s’improvisent clowns à l’hôpital en pensant qu’il suffit de débarquer dans un service avec ses grandes chaussures et ses cheveux roux en faisant une grosse blague, met en garde Daniel Cap. Il n’en est rien : en tant qu’artistes professionnels, nous avons des valeurs et des devoirs qui guident nos pratiques. »

Ce code vise le respect des équipes soignantes, une attitude prudente et respectueuse de la personne et des institutions, l’absence d’ingérence et de jugements, le respect du secret professionnel, etc. « Avant chaque animation, nous effectuons un petit briefing avec l’infirmière de service, explique Catherine Vanandruel, alias Zuzut. Elle nous donne quelques informations basiques concernant chaque enfant : il vient d’être opéré, il a besoin de repos, il est en situation de handicap, sa maladie s’aggrave… On nous communique les mesures d’hygiène particulières (masque, gant, blouse), s’il est en isolement. » Après quoi, tout est dans la démarche : «Derrière chaque porte, il y a une histoire particulière, un cas médical, des inattendus, des enfants et des parents confrontés à un milieu inhabituel et inconfortable. On se doit d’être humble, prudent, responsable », insiste Daniel Cap.

Pour chaque duo de clowns, il s’agit « d’entrer en relation et de prendre soin, ajoute Catherine Vanandruel. Avoir tous les sens en éveil, développer une écoute active, travailler la vulnérabilité de l’instant, être en empathie, mais aussi poreux de sa propre histoire, ne pas se laisser envahir parses propres émotions et ne pas se prendre trop au sérieux. »

Un jeu largement travaillé en amont, comme le rappelle le comédien Thomas Ghysselinckx, alias Bouboule : « la gestuelle, la précision du mouvement, le rythme, le regard… tout celafait partie des fondamentaux du clown. Il faut être souple, agile, naturel, en résonance et en complicité avec son partenaire, avec cette idée de ping-pong entre le leader et le suiveur, le blanc/le sérieux, le dominant/le dominé… L’enfant jette alors son dévolu sur l’un ou sur l’autre et on avance au feeling. »

Au feeling, pour distiller de la fantaisie et de la poésie, entre les baxters et les piqûres, les monitorings et les médicaments, les microbes et les pansements. Entre la vie et la mort parfois.

Au plus près des enfants hospitalisés, qu’ils soient en bas âge ou adolescents, alités ou agités, sous perfusion ou dans le coma, les Clowns à hôpital avancent sur un fil ténu. Avec grâce, subtilité et douceur. «Bouboule, il est bêta, mais c’est un tout doux», assure Zuzut à un petit garçon en consultation un peu craintif et qui « déteste les clowns ». Cinq minutes plus tard, l’enfant a le sourire aux lèvres et des étoiles plein les yeux. — Hugues Dorzée

1. Les Clowns à l’hôpital : Thierry Boivin, Carine Limbosch, Clara Lopez, Thomas Ghysselinckx, Céline Taubennest, Jyoti Vennix , Bart Walter. Joëlle Waterkeyn.

En savoir plus

•    Les Clowns à l’hôpital (qui fêteront leurs 25 ans d’existence le 4 décembre prochain au centre culturel Bruegel) : www.clowns-hopital.be

•    DrZinzins

•    La Fédération française des associations de clowns Hospitaliers (www.ffach.fr) et la European federation of healthcare clown organizations (www.efhco.eu)

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